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LES ROUGON-MACQUART

Riche, comme elles arrivaient sur le champ de manœuvres, elles rabattaient la queue de leur robe, relevée jusque-là d’une main soigneuse ; et dès lors, risquant la poussière, balayant les trottoirs et roulant la taille, elles s’en allaient à petits pas, elles ralentissaient encore leur marche, lorsqu’elles traversaient le coup de lumière crue d’un grand café. Rengorgées, le rire haut, avec des regards en arrière sur les hommes qui se retournaient, elles étaient chez elles. Leurs visages blanchis, tachés du rouge des lèvres et du noir des paupières, prenaient, dans l’ombre, le charme troublant d’un Orient de bazar à treize sous, lâché au plein air de la rue. Jusqu’à onze heures, parmi les heurts de la foule, elles restaient gaies, jetant simplement un « sale mufe ! » de loin en loin, derrière le dos des maladroits dont le talon leur arrachait un volant ; elles échangeaient de petits saluts familiers avec des garçons de café, s’arrêtaient à causer devant une table, acceptaient des consommations, qu’elles buvaient lentement, en personnes heureuses de s’asseoir, pour attendre la sortie des théâtres. Mais, à mesure que la nuit s’avançait, si elles n’avaient pas fait un ou deux voyages rue La Rochefoucault, elles tournaient à la sale garce, leur chasse devenait plus âpre. Il y avait, au pied des arbres, le long des boulevards assombris qui se vidaient, des marchandages féroces, des gros mots et des coups ; pendant que d’honnêtes familles, le père, la mère et les filles, habitués à ces rencontres, passaient tranquillement, sans presser le pas. Puis, après être allées dix fois de l’Opéra au Gymnase, Nana et Satin, lorsque décidément les hommes se dégageaient et filaient plus vite, dans l’obscurité croissante, s’en tenaient aux trottoirs de la rue du Faubourg-Montmartre. Là,