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LES ROUGON-MACQUART

Un soir, il trouva Nana en larmes. Elle ôta sa camisole pour montrer son dos et ses bras noirs de coups. Il lui regarda la peau, sans être tenté d’abuser de la situation, comme l’aurait fait cet imbécile de Prullière. Puis, sentencieusement :

— Ma fille, où il y a des femmes, il y a des claques. C’est Napoléon qui a dit ça, je crois… Lave-toi avec de l’eau salée. Excellent, l’eau salée, pour ces bobos. Va, tu en recevras d’autres ; et ne te plains pas, tant que tu n’auras rien de cassé… Tu sais, je m’invite, j’ai vu un gigot.

Mais madame Lerat n’avait pas cette philosophie. Chaque fois que Nana lui montrait un nouveau bleu sur sa peau blanche, elle poussait les hauts cris. On lui tuait sa nièce, ça ne pouvait pas durer. À la vérité, Fontan avait mis à la porte madame Lerat, en disant qu’il ne voulait plus la rencontrer chez lui ; et, depuis ce jour, quand elle était là et qu’il rentrait, elle devait s’en aller par la cuisine, ce qui l’humiliait horriblement. Aussi ne tarissait-elle pas contre ce grossier personnage. Elle lui reprochait surtout d’être mal élevé, avec des mines de femme comme il faut, à qui personne ne pouvait en remontrer sur la bonne éducation.

— Oh ! ça se voit tout de suite, disait-elle à Nana, il n’a pas le sentiment des moindres convenances. Sa mère devait être commune ; ne dis pas non, ça se sent !… Je ne parle pas pour moi, bien qu’une personne de mon âge ait droit aux égards… Mais toi, vraiment, comment fais-tu pour endurer ses mauvaises manières ; car, sans me flatter, je t’ai toujours appris à te tenir, et tu as reçu chez toi les meilleurs conseils. Hein ? nous étions tous très bien dans la famille.

Nana ne protestait pas, écoutait la tête basse.