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LES ROUGON-MACQUART

toupet, de faire la femme distinguée ; oui, distinguée dans le coin aux épluchures ! À présent, elle était certaine de l’avoir rencontrée au Papillon, un infect bastringue de la rue des Poissonniers, où des hommes la levaient pour trente sous. Et ça empaumait des chefs de bureau par des airs modestes et ça refusait des soupers auxquels on lui faisait l’honneur de l’inviter, histoire de se poser en vertu ! Vrai, on lui en flanquerait de la vertu ! C’étaient toujours ces bégueules-là qui s’en donnaient à crever, dans des trous ignobles que personne ne connaissait.

Cependant, Nana, en roulant ces choses, était arrivée chez elle, rue Véron. Elle fut toute secouée de voir de la lumière. Fontan rentrait maussade, lâché lui aussi par l’ami qui lui avait payé à dîner. Il écouta d’un air froid les explications qu’elle donnait, craignant des calottes, effarée de le trouver là, lorsqu’elle ne l’attendait pas avant une heure du matin ; elle mentait, elle avouait bien avoir dépensé six francs, mais avec madame Maloir. Alors, il resta digne, il lui tendit une lettre à son adresse, qu’il avait tranquillement décachetée. C’était une lettre de Georges, toujours enfermé aux Fondettes, se soulageant chaque semaine dans des pages brûlantes. Nana adorait qu’on lui écrivît, surtout de grandes phrases d’amour, avec des serments. Elle lisait ça à tout le monde. Fontan connaissait le style de Georges et l’appréciait. Mais, ce soir-là, elle redoutait tellement une scène, qu’elle affecta l’indifférence ; elle parcourut la lettre d’un air maussade et la rejeta aussitôt. Fontan s’était mis à battre la retraite sur une vitre, ennuyé de se coucher de si bonne heure, ne sachant plus à quoi occuper sa soirée. Brusquement, il se tourna.

— Si l’on répondait tout de suite à ce gamin, dit-il.