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NANA

péfaite : la chaise près d’elle était vide. Satin avait disparu.

— Eh bien ! où est-elle donc ? laissa-t-elle échapper tout haut.

La forte personne blonde, qui avait comblé Satin d’attentions, eut un rire, dans sa mauvaise humeur ; et comme Nana, irritée de ce rire, la regardait d’un œil menaçant, elle dit mollement, la voix traînante :

— Ce n’est pas moi, bien sûr, c’est l’autre qui vous l’a faite.

Alors, Nana, comprenant qu’on se moquerait d’elle, n’ajouta rien. Elle resta même un moment assise, ne voulant pas montrer sa colère. Au fond du salon voisin, elle entendait les éclats de Lucy Stewart qui régalait toute une table de petites filles, descendues des bals de Montmartre et de la Chapelle. Il faisait très chaud, la bonne enlevait des piles d’assiettes sales, dans l’odeur forte de la poule au riz ; tandis que les quatre messieurs avaient fini par verser du vin fin à une demi-douzaine de ménages, rêvant de les griser, pour en entendre de raides. Maintenant, ce qui exaspérait Nana, c’était de payer le dîner de Satin. En voilà une garce qui se laissait goberger et qui filait avec le premier chien coiffé, sans dire merci ! Sans doute, ce n’était que trois francs, mais ça lui semblait dur tout de même, la manière était trop dégoûtante. Elle paya pourtant, elle jeta ses six francs à Laure, qu’elle méprisait à cette heure plus que la boue des ruisseaux.

Dans la rue des Martyrs, Nana sentit encore grandir sa rancune. Bien sûr, elle n’allait pas courir après Satin ; une jolie ordure, pour y mettre le nez ! Mais sa soirée se trouvait gâtée, et elle remonta lentement vers Montmartre, enragée surtout contre madame Robert. Celle-là, par exemple, avait un fameux