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NANA

intéressée par un jeune homme, aux cheveux courts et bouclés, le visage insolent, tenant sans haleine, pendue à ses moindres caprices, toute une table de filles, qui crevaient de graisse. Mais, comme le jeune homme riait, sa poitrine se gonfla.

— Tiens, c’est une femme ! laissa-t-elle échapper dans un léger cri.

Satin, qui se bourrait de poule, leva la tête en murmurant :

— Ah ! oui, je la connais… Très chic ! on se l’arrache.

Nana fit une moue dégoûtée. Elle ne comprenait pas encore ça. Pourtant, elle disait, de sa voix raisonnable, que des goûts et des couleurs il ne fallait pas disputer, car on ne savait jamais ce qu’on pourrait aimer un jour. Aussi mangeait-elle sa crème d’un air de philosophie, en s’apercevant parfaitement que Satin révolutionnait les tables voisines, avec ses grands yeux bleus de vierge. Il y avait surtout près d’elle une forte personne blonde très aimable ; elle flambait, elle se poussait, si bien que Nana était sur le point d’intervenir.

Mais, à ce moment, une femme qui entrait lui causa une surprise. Elle avait reconnu madame Robert. Celle-ci, avec sa jolie mine de souris brune, adressa un signe de tête familier à la grande bonne maigre, puis vint s’appuyer au comptoir de Laure. Et toutes deux se baisèrent, longuement. Nana trouva cette caresse-là très drôle de la part d’une femme si distinguée ; d’autant plus que madame Robert n’avait pas du tout son air modeste, au contraire. Elle jetait des coups d’œil dans le salon, causant à voix basse. Laure venait de se rasseoir, tassée de nouveau, avec la majesté d’une vieille idole du vice, à la face usée et vernie par les baisers des