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LES ROUGON-MACQUART

rue neuve et silencieuse du quartier de l’Europe, sans une boutique, dont les belles maisons, aux petits appartements étroits, sont peuplées de dames. Il était cinq heures ; le long des trottoirs déserts, dans la paix aristocratique des hautes maisons blanches, des coupés de boursiers et de négociants stationnaient, tandis que des hommes filaient vite, levant les yeux vers les fenêtres, où des femmes en peignoir semblaient attendre. Nana d’abord refusa de monter, disant d’un air pincé qu’elle ne connaissait pas cette dame. Mais Satin insistait. On pouvait toujours bien mener une amie avec soi. Elle voulait simplement faire une visite de politesse ; madame Robert, qu’elle avait rencontrée la veille dans un restaurant, s’était montrée très gentille, en lui faisant jurer de la venir voir. Et Nana finit par céder. En haut, une petite bonne endormie leur dit que madame n’était pas rentrée. Pourtant, elle voulut bien les introduire dans le salon, où elle les laissa.

— Bigre ! c’est chic ! murmura Satin.

C’était un appartement sévère et bourgeois, tendu d’étoffes sombres, avec le comme il faut d’un boutiquier parisien, retiré après fortune faite. Nana, impressionnée, voulut plaisanter. Mais Satin se fâchait, répondait de la vertu de madame Robert. On la rencontrait toujours en compagnie d’hommes âgés et sérieux, qui lui donnaient le bras. Pour le moment, elle avait un ancien chocolatier, esprit grave. Quand il venait, charmé de la bonne tenue de la maison, il se faisait annoncer et l’appelait mon enfant.

— Mais tiens, la voilà ! reprit Satin en montrant une photographie posée devant la pendule.

Nana étudia le portrait un instant. Il représentait une femme très brune, au visage allongé, les lèvres pincées dans un sourire discret. On aurait dit tout