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NANA

Elle lui serra la main, qu’il avait toujours un peu grasse, malgré sa tenue parfaite ; puis, elle descendit acheter son poisson. Dans la journée, cette histoire de coup de pied au derrière l’occupa. Elle en parla même à Fontan, elle se posa de nouveau comme une femme forte qui ne supporterait pas une chiquenaude. Fontan, en esprit supérieur, déclara que tous les hommes comme il faut étaient des mufes et qu’on devait les mépriser. Nana, dès lors, fut pleine d’un réel dédain.

Justement, ce soir-là, ils allèrent aux Bouffes voir débuter, dans un rôle de dix lignes, une petite femme que Fontan connaissait. Il était près d’une heure, quand ils regagnèrent à pied les hauteurs de Montmartre. Rue de la Chaussée-d’Antin, ils avaient acheté un gâteau, un moka ; et ils le mangèrent dans le lit, parce qu’il ne faisait pas chaud et que ça ne valait pas la peine d’allumer du feu. Assis sur leur séant, côte à côte, la couverture au ventre, les oreillers tassés derrière le dos, ils soupaient, en causant de la petite femme. Nana la trouvait laide et sans chic. Fontan, couché sur le devant, passait les parts de gâteau, posées au bord de la table de nuit, entre la bougie et les allumettes. Mais ils finirent par se quereller.

— Oh ! si on peut dire ! criait Nana. Elle a des yeux comme des trous de vrille et des cheveux couleur filasse.

— Tais-toi donc ! répétait Fontan. Une chevelure superbe, des regards pleins de feu… Est-ce drôle que vous vous mangiez toujours entre femmes !

Il avait l’air vexé.

— Allons, en voilà de trop ! dit-il enfin d’une voix brutale. Tu sais, je n’aime pas qu’on m’embête… Dormons, ou ça va mal tourner.