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NANA

s’enfonçaient, avec les taches vives des becs de gaz, qui se noyaient au loin dans une vapeur jaune. Muffat ne bougeait pas. C’était la chambre ; il se la rappelait, tendue d’andrinople rouge, avec un lit Louis XIII, au fond. La lampe devait être à droite, sur la cheminée. Sans doute, ils étaient couchés, car pas une ombre ne passait, la raie de clarté luisait, immobile comme un reflet de veilleuse. Et lui, les yeux toujours levés, faisait un plan : il sonnait, il montait malgré les appels du concierge, enfonçait les portes à coups d’épaule, tombait sur eux, dans le lit, sans leur donner le temps de dénouer leurs bras. Un instant, l’idée qu’il n’avait pas d’arme l’arrêta ; puis, il décida qu’il les étranglerait. Il reprenait son plan, il le perfectionnait, attendant toujours quelque chose, un indice, pour être certain. Si une ombre de femme s’était montrée à ce moment, il aurait sonné. Mais la pensée qu’il se trompait peut-être le glaçait. Que dirait-il ? Des doutes lui revenaient, sa femme ne pouvait être chez cet homme, c’était monstrueux et impossible. Cependant, il demeurait, envahi peu à peu par un engourdissement, glissant à une mollesse, dans cette longue attente que la fixité de son regard hallucinait.

Une averse tomba. Deux sergents de ville approchaient, et il dut quitter le coin de porte où il s’était réfugié. Lorsqu’ils se furent perdus dans la rue de Provence, il revint, mouillé, frissonnant. La raie lumineuse barrait toujours la fenêtre. Cette fois, il allait partir, quand une ombre passa. Ce fut si rapide, qu’il crut s’être trompé. Mais, coup sur coup, d’autres taches coururent, toute une agitation eut lieu dans la chambre. Lui, cloué de nouveau sur le trottoir, éprouvait une sensation intolérable de brûlure à l’estomac, attendant pour comprendre, main-