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LES ROUGON-MACQUART

voulu une manière aimable, car elle restait bonne fille, et ça l’ennuyait de faire de la peine aux gens ; d’autant plus que celui-là était cocu, idée qui avait fini par l’attendrir.

— Alors, dit-elle enfin, c’est demain matin que tu attends ta femme ?

Muffat s’était allongé dans le fauteuil, l’air assoupi, les membres las. Il dit oui, d’un signe. Nana le regardait, sérieuse, avec un sourd travail de tête. Assise sur une cuisse, dans le chiffonnage léger de ses dentelles, elle tenait l’un de ses pieds nus entre ses deux mains ; et, machinalement, elle le tournait, le retournait.

— Il y a longtemps que tu es marié ? demanda-t-elle.

— Dix-neuf ans, répondit le comte.

— Ah !… Et ta femme, est-elle aimable ? Faites-vous bon ménage ensemble ?

Il se tut. Puis, d’un air gêné :

— Tu sais que je t’ai priée de ne jamais parler de ces choses.

— Tiens ! pourquoi donc ? cria-t-elle, se vexant déjà. Je ne la mangerai pas, ta femme, bien sûr, pour parler d’elle… Mon cher, toutes les femmes se valent…

Mais elle s’arrêta, de peur d’en trop dire. Seulement, elle prit un air supérieur, parce qu’elle se croyait très bonne. Ce pauvre homme, il fallait le ménager. D’ailleurs, une idée gaie lui était venue, elle souriait en l’examinant. Elle reprit :

— Dis donc, je ne t’ai pas conté l’histoire que Fauchery fait courir sur toi… En voilà une vipère ! Je ne lui en veux pas, puisque son article est possible ; mais c’est une vraie vipère tout de même.

Et, riant plus fort, lâchant son pied, elle se traîna