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LES ROUGON-MACQUART

d’honneur. Tous s’arrêtèrent, saisis par la grandeur hautaine des larges perrons, des vingt fenêtres de façade, du développement des trois ailes dont les briques s’encadraient dans des cordons de pierre. Henri IV avait habité ce château historique, où l’on conservait sa chambre, avec le grand lit tendu de velours de Gênes. Nana, suffoquée, eut un petit soupir d’enfant.

— Cré nom ! murmura-t-elle très bas, pour elle-même.

Mais il y eut une forte émotion. Gaga, tout à coup, dit que c’était elle, Irma en personne, qui se tenait là-bas, devant l’église. Elle la reconnaissait bien ; toujours droite, la mâtine, malgré son âge, et toujours ses yeux, quand elle prenait son air. On sortait des vêpres. Madame, un instant, resta sous le porche. Elle était en soie feuille morte, très simple et très grande, avec la face vénérable d’une vieille marquise, échappée aux horreurs de la Révolution. Dans sa main droite, un gros paroissien luisait au soleil. Et, lentement, elle traversa la place, suivie d’un laquais en livrée, qui marchait à quinze pas. L’église se vidait, tous les gens de Chamont la saluaient profondément ; un vieillard lui baisa la main, une femme voulut se mettre à genoux. C’était une reine puissante, comblée d’ans et d’honneurs. Elle monta le perron, elle disparut.

— Voilà où l’on arrive, quand on a de l’ordre, dit Mignon d’un air convaincu, en regardant ses fils, comme pour leur donner une leçon.

Alors, chacun dit son mot. Labordette la trouvait prodigieusement conservée. Maria Blond lâcha une ordure, tandis que Lucy se fâchait, déclarant qu’il fallait honorer la vieillesse. Toutes, en somme, convinrent qu’elle était inouïe. On remonta en voiture. De