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NANA

silence, elle sanglota au cou du petit, en balbutiant qu’elle avait peur de mourir. Elle chantait souvent à demi-voix une romance de madame Lerat, pleine de fleurs et d’oiseaux, s’attendrissant aux larmes, s’interrompant pour prendre Georges dans une étreinte de passion, en exigeant de lui des serments d’amour éternel. Enfin, elle était bête, comme elle le reconnaissait elle-même, lorsque tous les deux, redevenus camarades, fumaient des cigarettes au bord du lit, les jambes nues, tapant le bois des talons.

Mais ce qui acheva de fondre le cœur de la jeune femme, ce fut l’arrivée de Louiset. Sa crise de maternité eut la violence d’un coup de folie. Elle emportait son fils au soleil pour le regarder gigoter ; elle se roulait avec lui sur l’herbe, après l’avoir habillé comme un jeune prince. Tout de suite elle voulut qu’il dormit près d’elle, dans la chambre voisine, où madame Lerat, très impressionnée par la campagne, ronflait, dès qu’elle était sur le dos. Et Louiset ne faisait pas le moindre tort à Zizi, au contraire. Elle disait qu’elle avait deux enfants, elle les confondait dans le même caprice de tendresse. La nuit, à plus de dix reprises, elle lâchait Zizi pour voir si Louiset avait une bonne respiration ; mais, quand elle revenait, elle reprenait son Zizi avec un restant de ses caresses maternelles, elle faisait la maman ; tandis que lui, vicieux, aimant bien être petit aux bras de cette grande fille, se laissait bercer comme un bébé qu’on endort. C’était si bon, que, charmée de cette existence, elle lui proposa sérieusement de ne plus jamais quitter la campagne. Ils renverraient tout le monde, ils vivraient seuls, lui, elle et l’enfant. Et ils firent mille projets, jusqu’à l’aube, sans entendre madame Lerat, qui ronflait à poings fermés, lasse d’avoir cueilli des fleurs champêtres.