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LES ROUGON-MACQUART

Deux jeunes gens parurent à l’orchestre. Ils se tinrent debout, regardant.

— Que te disais-je, Hector ? s’écria le plus âgé, un grand garçon à petites moustaches noires, nous venons trop tôt. Tu aurais bien pu me laisser achever mon cigare.

Une ouvreuse passait.

— Oh ! monsieur Fauchery, dit-elle familièrement, ça ne commencera pas avant une demi-heure.

— Alors, pourquoi affichent-ils pour neuf heures ? murmura Hector, dont la longue figure maigre prit un air vexé. Ce matin, Clarisse, qui est de la pièce, m’a encore juré qu’on commencerait à neuf heures précises.

Un instant, ils se turent, levant la tête, fouillant l’ombre des loges. Mais le papier vert dont elles étaient tapissées les assombrissait encore. En bas, sous la galerie, les baignoires s’enfonçaient dans une nuit complète. Aux loges de balcon, il n’y avait qu’une grosse dame, échouée sur le velours de la rampe. À droite et à gauche, entre de hautes colonnes, les avant-scènes restaient vides, drapées de lambrequins à longues franges. La salle blanche et or, relevée de vert tendre, s’effaçait, comme emplie d’une fine poussière par les flammes courtes du grand lustre de cristal.

— Est-ce que tu as eu ton avant-scène pour Lucy ? demanda Hector.

— Oui, répondit l’autre, mais ça n’a pas été sans peine… Oh ! il n’y a pas de danger que Lucy vienne trop tôt, elle !

Il étouffa un léger bâillement ; puis, après un silence :

— Tu as de la chance, toi qui n’as pas encore vu de première… La Blonde Vénus sera l’événement