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LES ROUGON-MACQUART

tombait à torrents, la petite ombrelle de soie blanche était déjà toute noire ; et elle ne couvrait pas madame, dont la jupe ruisselait. Cela ne la dérangeait guère. Elle visitait sous l’averse le potager et le fruitier, s’arrêtant à chaque arbre, se penchant sur chaque planche de légumes. Puis, elle courut jeter un coup d’œil au fond du puits, souleva un châssis pour regarder ce qu’il y avait dessous, s’absorba dans la contemplation d’une énorme citrouille. Son besoin était de suivre toutes les allées, de prendre une possession immédiate de ces choses, dont elle avait rêvé autrefois, quand elle traînait ses savates d’ouvrière sur le pavé de Paris. La pluie redoublait, elle ne la sentait pas, désolée seulement de ce que le jour tombait. Elle ne voyait plus clair, elle touchait avec les doigts, pour se rendre compte. Tout à coup, dans le crépuscule, elle distingua des fraises. Alors, son enfance éclata.

— Des fraises ! des fraises ! Il y en a, je les sens !… Zoé, une assiette ! Viens cueillir des fraises.

Et Nana, qui s’était accroupie dans la boue, lâcha son ombrelle, recevant l’ondée. Elle cueillait des fraises, les mains trempées, parmi les feuilles. Cependant, Zoé n’apportait pas d’assiette. Comme la jeune femme se relevait, elle fut prise de peur. Il lui avait semblé voir glisser une ombre.

— Une bête ! cria-t-elle.

Mais la stupeur la planta au milieu de l’allée. C’était un homme, et elle l’avait reconnu.

— Comment ! c’est Bébé !… Qu’est-ce que tu fais là, Bébé ?

— Tiens ! pardi ! répondit Georges, je suis venu.

Elle restait étourdie.

— Tu savais donc mon arrivée par le jardinier ?… Oh ! cet enfant ! Et il est trempé !