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LES ROUGON-MACQUART

fraîche. Et, sautant à un autre projet, elle fit une seconde lettre, où elle suppliait sa tante d’amener immédiatement le petit Louis. Ça ferait tant de bien à bébé ! et comme on s’amuserait ensemble sous les arbres ! De Paris à Orléans, en wagon, elle ne parla que de ça, les yeux humides, mêlant les fleurs, les oiseaux et son enfant, dans une soudaine crise de maternité.

La Mignotte se trouvait à plus de trois lieues. Nana perdit une heure pour louer une voiture, une immense calèche délabrée qui roulait lentement avec un bruit de ferraille. Elle s’était tout de suite emparée du cocher, un petit vieux taciturne qu’elle accablait de questions. Est-ce qu’il avait souvent passé devant la Mignotte ? Alors, c’était derrière ce coteau ? Ça devait être plein d’arbres, n’est-ce pas ? Et la maison, se voyait-elle de loin ? Le petit vieux répondait par des grognements. Dans la calèche, Nana dansait d’impatience ; tandis que Zoé, fâchée d’avoir quitté Paris si vite, se tenait raide et maussade. Le cheval s’étant arrêté court, la jeune femme crut qu’on arrivait. Elle passa la tête par la portière, elle demanda :

— Hein ! nous y sommes ?

Pour toute réponse, le cocher avait fouetté le cheval, qui monta péniblement une côte. Nana contemplait avec ravissement la plaine immense sous le ciel gris, où de gros nuages s’amoncelaient.

— Oh ! regarde donc, Zoé, en voilà de l’herbe ! Est-ce que c’est du blé, tout ça ?… Mon Dieu ! que c’est joli !

— On voit bien que madame n’est pas de la campagne, finit par dire la bonne d’un air pincé. Moi, je l’ai trop connue, la campagne, quand j’étais chez mon dentiste, qui avait une maison à Bougival…