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NANA


— Ah ! on me l’a dit pourtant, murmura la vieille dame. Georges, tu étais là, ce matin, quand le jardinier nous a parlé…

Georges eut l’air de fouiller sa mémoire. Muffat attendait, en faisant tourner une petite cuiller entre ses doigts. Alors, la comtesse s’adressant à ce dernier :

— Est-ce que monsieur Steiner n’est pas avec cette chanteuse des Variétés, cette Nana ?

— Nana, c’est bien ça, une horreur ! cria madame Hugon qui se fâchait. Et on l’attend à la Mignotte. Moi, je sais tout par le jardinier… N’est-ce pas ? Georges, le jardinier disait qu’on l’attendait ce soir.

Le comte eut un léger tressaillement de surprise. Mais Georges répondait avec vivacité :

— Oh ! maman, le jardinier parlait sans savoir… Tout à l’heure, le cocher disait le contraire : on n’attend personne à la Mignotte avant après-demain.

Il tâchait de prendre un air naturel, en étudiant du coin de l’œil l’effet de ses paroles sur le comte. Celui-ci tournait de nouveau sa petite cuiller, comme rassuré. La comtesse, les yeux perdus sur les lointains bleuâtres du parc, semblait n’être plus à la conversation, suivant avec l’ombre d’un sourire une pensée secrète, éveillée subitement en elle ; tandis que, raide sur sa chaise, Estelle avait écouté ce qu’on disait de Nana, sans qu’un trait de son blanc visage de vierge eût bougé.

— Mon Dieu ! murmura après un silence madame Hugon, retrouvant sa bonhomie, j’ai tort de me fâcher. Il faut bien que tout le monde vive… Si nous rencontrons cette dame sur la route, nous en serons quittes pour ne pas la saluer.