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NANA

grenier, un établi sur lequel le concierge donnait un coup de rabot aux décors, un empilement de barrières de bois, qu’on posait le soir à la porte, pour maintenir la queue. Nana dut relever sa robe en passant devant une borne-fontaine, dont le robinet mal fermé inondait les dalles. Dans le vestibule, on se salua. Et, quand Bordenave fut seul, il résuma son jugement sur le prince par un haussement d’épaules, plein d’une dédaigneuse philosophie.

— Il est un peu mufe tout de même, dit-il sans s’expliquer davantage à Fauchery, que Rose Mignon emmenait avec son mari, pour les réconcilier chez elle.

Muffat se trouva seul sur le trottoir. Son Altesse venait tranquillement de faire monter Nana dans sa voiture. Le marquis avait filé derrière Satin et son figurant, excité, se contentant à suivre ces deux vices, avec le vague espoir de quelque complaisance. Alors, Muffat, la tête en feu, voulut rentrer à pied. Tout combat avait cessé en lui. Un flot de vie nouvelle noyait ses idées et ses croyances de quarante années. Pendant qu’il longeait les boulevards, le roulement des dernières voitures l’assourdissait du nom de Nana, les becs de gaz faisaient danser devant ses yeux des nudités, les bras souples, les épaules blanches de Nana ; et il sentait qu’elle le possédait, il aurait tout renié, tout vendu, pour l’avoir une heure, le soir même. C’était sa jeunesse qui s’éveillait enfin, une puberté goulue d’adolescent, brûlant tout à coup dans sa froideur de catholique et dans sa dignité d’homme mûr.