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NANA

petit Georges Hugon, vous le connaissez ?… Venez donc me voir, là-bas.

Le comte, effrayé de sa brutalité d’homme timide, honteux de ce qu’il avait fait, la salua cérémonieusement, en lui promettant de se rendre à son invitation. Puis, il s’éloigna, marchant dans un rêve.

Il rejoignait le prince, lorsque, en passant devant le foyer, il entendit Satin crier :

— En voilà un vieux sale ! Fichez-moi la paix !

C’était le marquis de Chouard, qui se rabattait sur Satin. Celle-ci avait décidément assez de tout ce monde chic. Nana venait bien de la présenter à Bordenave. Mais ça l’avait trop assommée, de rester la bouche cousue, par crainte de laisser échapper des bêtises ; et elle voulait se rattraper, d’autant plus qu’elle était tombée, dans les coulisses, sur un ancien à elle, le figurant chargé du rôle de Pluton, un pâtissier qui lui avait déjà donné toute une semaine d’amour et de gifles. Elle l’attendait, irritée de ce que le marquis lui parlait comme à une de ces dames du théâtre. Aussi finit-elle par être très digne, jetant cette phrase :

— Mon mari va venir, vous allez voir !

Cependant, les artistes en paletot, le visage las, partaient un à un. Des groupes d’hommes et de femmes descendaient le petit escalier tournant, mettaient dans l’ombre des profils de chapeaux défoncés, de châles fripés, une laideur blême de cabotins qui ont enlevé leur rouge. Sur la scène, où l’on éteignait les portants et les herses, le prince écoutait une anecdote de Bordenave. Il voulait attendre Nana. Quand celle-ci parut enfin, la scène était noire, le pompier de service, achevant sa ronde, promenait une lanterne. Bordenave, pour éviter à Son Altesse le détour du passage des Panoramas, venait de faire