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LES ROUGON-MACQUART

laisser tomber ; et, comme elle se baissait, il se précipita, leurs souffles se rencontrèrent, les cheveux dénoués de Vénus lui roulèrent sur les mains. Ce fut une jouissance mêlée de remords, une de ces jouissances de catholique que la peur de l’enfer aiguillonne dans le péché.

À ce moment, la voix du père Barillot s’éleva derrière la porte.

— Madame, puis-je frapper ? On s’impatiente dans la salle.

— Tout à l’heure, répondit tranquillement Nana.

Elle avait trempé le pinceau dans un pot de noir ; puis, le nez sur la glace, fermant l’œil gauche, elle le passa délicatement entre les cils. Muffat, derrière elle, regardait. Il la voyait dans la glace, avec ses épaules rondes et sa gorge noyée d’une ombre rose. Et il ne pouvait, malgré son effort, se détourner de ce visage que l’œil fermé rendait si provocant, troué de fossettes, comme pâmé de désirs. Lorsqu’elle ferma l’œil droit et qu’elle passa le pinceau, il comprit qu’il lui appartenait.

— Madame, cria de nouveau la voix essoufflée de l’avertisseur, ils tapent des pieds, ils vont finir par casser les banquettes… Puis-je frapper ?

— Et zut ! dit Nana impatientée. Frappez, je m’en fiche !… Si je ne suis pas prête, eh bien ! ils m’attendront.

Elle se calma, elle ajouta avec un sourire, en se tournant vers ces messieurs :

— C’est vrai, on ne peut seulement causer une minute.

Maintenant, sa figure et ses bras étaient faits. Elle ajouta, avec le doigt, deux larges traits de carmin sur les lèvres. Le comte Muffat se sentait plus troublé encore, séduit par la perversion des poudres et des