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NANA

il le rencontrait sur la scène, il le bourrait de coups, comme emporté par un excès de tendresse ; et Fauchery, chétif à côté de ce colosse, devait accepter les tapes en souriant d’un air contraint, pour ne pas se fâcher avec le mari de Rose.

— Ah ! mon gaillard, vous insultez Fontan ! reprit Mignon, poussant la farce. En garde ! Une, deux, et v’lan dans la poitrine !

Il s’était fendu, il avait porté une telle botte au jeune homme, que celui-ci resta un instant très pâle, la parole coupée. Mais, d’un clignement de paupière, Clarisse montrait aux autres Rose Mignon, debout sur le seuil du foyer. Rose avait vu la scène. Elle marcha droit vers le journaliste, comme si elle n’apercevait pas son mari ; et, se haussant, les bras nus, dans son costume de Bébé, elle présenta le front, avec une moue de câlinerie enfantine.

— Bonsoir, bébé, dit Fauchery, qui, familièrement, la baisa.

C’étaient là ses dédommagements. Mignon ne parut même pas remarquer ce baiser ; tout le monde embrassait sa femme au théâtre. Mais il eut un rire, en jetant un mince coup d’œil sur le journaliste ; sûrement celui-ci allait payer cher la bravade de Rose.

Dans le couloir, la porte rembourrée s’ouvrit et retomba, soufflant jusqu’au foyer une tempête d’applaudissements. Simonne revenait après sa scène.

— Oh ! le père Bosc a fait un effet ! cria-t-elle. Le prince se tortillait de rire, et il applaudissait avec les autres, comme si on l’avait payé… Dites donc, connaissez-vous le grand monsieur qui est à côté du prince dans l’avant-scène ? Un bel homme, l’air très digne, des favoris superbes.

— C’est le comte Muffat, répondit Fauchery. Je