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LES ROUGON-MACQUART

veau Fauchery pour le lendemain. Lucy, alors, refusa de se laisser reconduire par le journaliste, qu’elle renvoya tout haut à sa cabotine. Du coup, Rose, qui s’était retournée, répondit par un « Sale grue ! » entre les dents. Mais, déjà, Mignon, paternel dans les querelles de femmes, expérimenté et supérieur, l’avait poussée dehors, en la priant de finir. Derrière eux, Lucy, toute seule, descendit royalement l’escalier. Puis, ce fut la Faloise que Gaga dut emmener, malade, sanglotant comme un enfant, appelant Clarisse, filée depuis longtemps avec ses deux messieurs. Simonne aussi avait disparu. Il ne restait plus que Tatan, Léa et Maria, dont Labordette voulut bien se charger, complaisamment.

— C’est que je n’ai pas du tout envie de dormir ! répétait Nana. Il faudrait faire quelque chose.

Elle regardait le ciel à travers les vitres, un ciel livide où couraient des nuages couleur de suie. Il était six heures. En face, de l’autre côté du boulevard Haussmann, les maisons, encore endormies, découpaient leurs toitures humides dans le petit jour ; tandis que, sur la chaussée déserte, une troupe de balayeurs passaient avec le bruit de leurs sabots. Et, devant ce réveil navré de Paris, elle se trouvait prise d’un attendrissement de jeune fille, d’un besoin de campagne, d’idylle, de quelque chose de doux et de blanc.

— Oh ! vous ne savez pas ? dit-elle en revenant à Steiner, vous allez me mener au bois de Boulogne, et nous boirons du lait.

Une joie d’enfant la faisait battre des mains. Sans attendre la réponse du banquier, qui consentait naturellement, ennuyé au fond et rêvant autre chose, elle courut jeter une pelisse sur ses épaules. Dans le salon, il n’y avait plus, avec Steiner, que la bande