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NANA

les prenait pour des filles ? Cependant, Gaga, qui avait rattrapé la Faloise, le tenait presque sur ses genoux ; tandis que Clarisse, entre deux messieurs, disparaissait, secouée d’un rire nerveux de femme qu’on chatouille. Autour du piano, le petit jeu continuait, dans un coup de folie bête ; on se poussait, chacun voulait y verser son fond de bouteille. C’était simple et gentil.

— Tiens ! mon vieux, bois un coup… Diantre ! il a soif, ce piano !… Attention ! en voici encore une ; il ne faut rien perdre.

Nana, le dos tourné, ne les voyait pas. Elle se rabattait décidément sur le gros Steiner, assis près d’elle. Tant pis ! c’était la faute de ce Muffat, qui n’avait pas voulu. Dans sa robe de foulard blanc, légère et chiffonnée comme une chemise, avec sa pointe d’ivresse qui la pâlissait, les yeux battus, elle s’offrait de son air tranquille de bonne fille. Les roses de son chignon et de son corsage s’étaient effeuillées ; il ne restait que les queues. Mais Steiner retira vivement la main de ses jupes, où il venait de rencontrer les épingles mises par Georges. Quelques gouttes de sang parurent. Une tomba sur la robe et la tacha.

— Maintenant, c’est signé, dit Nana sérieusement.

Le jour grandissait. Une lueur louche, d’une affreuse tristesse, entrait par les fenêtres. Alors, le départ commença, une débandade pleine de malaise et d’aigreur. Caroline Héquet, fâchée d’avoir perdu sa nuit, dit qu’il était temps de s’en aller, si l’on ne voulait pas assister à de jolies choses. Rose faisait une moue de femme compromise. C’était toujours ainsi, avec ces filles ; elles ne savaient pas se tenir, elles se montraient dégoûtantes à leurs débuts. Et, Mignon ayant nettoyé Vandeuvres, le ménage partit, sans s’inquiéter de Steiner, après avoir invité de nou-