Page:Zola - Nana.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
LES ROUGON-MACQUART

nuit. Un instant, Labordette imagina de dénoncer les femmes à l’oreille de la Faloise, qui allait rôder autour de chacune, regardant si elle n’avait pas son mouchoir dans le cou. Puis, comme des bouteilles de champagne restaient sur le buffet, les jeunes gens s’étaient remis à boire. Ils s’appelaient, s’excitaient ; mais une ivresse morne, d’une bêtise à pleurer, envahissait le salon, invinciblement. Alors, le petit blondin, celui qui portait un des grands noms de France, à bout d’invention, désespéré de ne rien trouver de drôle, eut une idée : il emporta sa bouteille de champagne et acheva de la vider dans le piano. Tous les autres se tordirent.

— Tiens ! demanda avec étonnement Tatan Néné qui l’avait aperçu, pourquoi donc met-il du champagne dans le piano ?

— Comment ! ma fille, tu ne sais pas ça ? répondit Labordette gravement. Il n’y a rien de bon comme le champagne pour les pianos. Ça leur donne du son.

— Ah ! murmura Tatan Néné convaincue.

Et, comme on riait, elle se fâcha. Est-ce qu’elle savait ! On l’embrouillait toujours.

Ça se gâtait, décidément. La nuit menaçait de finir d’une façon malpropre. Dans un coin, Maria Blond s’était empoignée avec Léa de Horn qu’elle accusait de coucher avec des gens pas assez riches ; et elles en venaient aux gros mots, en s’attrapant sur leurs figures. Lucy, qui était laide, les fit taire. Ça ne signifiait rien la figure, il fallait être bien faite. Plus loin, sur un canapé, un attaché d’ambassade avait passé un bras à la taille de Simonne, qu’il tâchait de baiser au cou ; mais Simonne, éreintée, maussade, le repoussait chaque fois avec des « Tu m’embêtes ! » et de grands coups d’éventail sur la figure. Aucune, d’ailleurs, ne voulait qu’on la touchât. Est-ce qu’on