Page:Zola - Nana.djvu/131

Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
NANA

possible de conter des blagues pareilles. Quant à Lucy Stewart, elle avouait tranquillement son origine, elle parlait volontiers de sa jeunesse, lorsque son père, le graisseur du chemin de fer du Nord, la régalait le dimanche d’un chausson aux pommes.

— Oh ! que je vous dise ! cria brusquement la petite Maria Blond. Il y a, en face de chez moi, un monsieur, un Russe, enfin un homme excessivement riche. Voilà qu’hier je reçois un panier de fruits, mais un panier de fruits ! des pêches énormes, des raisins gros comme ça, enfin quelque chose d’extraordinaire dans cette saison… Et au milieu six billets de mille… C’était le Russe… Naturellement, j’ai tout renvoyé. Mais ça m’a fait un peu mal au cœur, pour les fruits !

Ces dames se regardèrent en pinçant les lèvres. À son âge, la petite Maria Blond avait un joli toupet. Avec ça que de pareilles histoires arrivaient à des traînées de son espèce ! C’étaient, entre elles, des mépris profonds. Elles jalousaient surtout Lucy, furieuses de ses trois princes. Depuis que Lucy, chaque matin, faisait à cheval une promenade au Bois, ce qui l’avait lancée, toutes montaient à cheval, une rage les tenait.

Le jour allait paraître. Nana détourna les yeux de la porte, perdant espoir. On s’ennuyait à crever. Rose Mignon avait refusé de chanter la Pantoufle, pelotonnée sur un canapé, où elle causait bas avec Fauchery, en attendant Mignon qui gagnait déjà une cinquantaine de louis à Vandeuvres. Un monsieur gras, décoré et de mine sérieuse, venait bien de réciter le Sacrifice d’Abraham, en patois d’Alsace ; quand Dieu jure, il dit : « Sacré nom de moi ! » et Isaac répond toujours : « Oui, papa ! » Seulement, personne n’ayant compris, le morceau avait paru stupide. On ne savait que faire pour être gai, pour finir follement la