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NANA

finance et du plaisir, beaucoup de journalistes, quelques écrivains, des hommes de Bourse, plus de filles que de femmes honnêtes ; monde singulièrement mêlé, fait de tous les génies, gâté par tous les vices, où la même fatigue et la même fièvre passaient sur les visages. Fauchery, que son cousin questionnait, lui montra les loges des journaux et des cercles, puis il nomma les critiques dramatiques, un maigre, l’air desséché, avec de minces lèvres méchantes, et surtout un gros, de mine bon enfant, se laissant aller sur l’épaule de sa voisine, une ingénue qu’il couvait d’un œil paternel et tendre.

Mais il s’interrompit, en voyant la Faloise saluer des personnes qui occupaient une loge de face. Il parut surpris.

— Comment ! demanda-t-il, tu connais le comte Muffat de Beuville ?

— Oh ! depuis longtemps, répondit Hector. Les Muffat avaient une propriété près de la nôtre. Je vais souvent chez eux… Le comte est avec sa femme et son beau-père, le marquis de Chouard.

Et, par vanité, heureux de l’étonnement de son cousin, il appuya sur des détails : le marquis était conseiller d’État, le comte venait d’être nommé chambellan de l’impératrice. Fauchery, qui avait pris sa jumelle, regardait la comtesse, une brune à la peau blanche, potelée, avec de beaux yeux noirs.

— Tu me présenteras pendant un entr’acte, finit-il par dire. Je me suis déjà rencontré avec le comte, mais je voudrais aller à leurs mardis.

Des chuts ! énergiques partirent des galeries supérieures. L’ouverture était commencée, on entrait encore. Des retardataires forçaient des rangées entières de spectateurs à se lever, les portes des loges battaient, de grosses voix se querellaient dans les