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du sang aux joues de tous les gens de la maison.

Au fond, en plein dans le coup de clarté de la rue, Félicie occupait un haut comptoir, où des glaces la protégeaient des courants d’air. Là-dedans, dans les gais reflets, dans la lueur rose de la boutique, elle était très fraîche, de cette fraîcheur pleine et mûre des femmes qui ont dépassé la quarantaine. Propre, lisse de peau, avec ses bandeaux noirs et son col blanc, elle avait la gravité souriante et affairée d’une bonne commerçante, qui, une plume à la main, l’autre main dans la monnaie du comptoir, représente l’honnêteté et la prospérité d’une maison. Des garçons coupaient, pesaient, criaient des chiffres ; des clientes défilaient devant la caisse ; et elle recevait leur argent, en échangeant d’une voix aimable les nouvelles du quartier. Justement, une petite femme, au visage maladif, payait deux côtelettes, qu’elle regardait d’un œil dolent.

— Quinze sous, n’est-ce pas ? dit Félicie. Ça ne va donc pas mieux, madame Vernier ?

— Non, ça ne va pas mieux, toujours l’estomac. Je rejette tout ce que je prends. Enfin, le médecin dit qu’il me faut de la viande ; mais c’est si cher !… Vous savez que le charbonnier est mort.