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mise quelque part pour s’en débarrasser, car je ne l’ai pas vue avec eux… C’est vrai, ça, ils pourraient toujours te rendre l’enfant, puisqu’ils n’en font rien. Seulement, qu’est-ce que tu deviendrais, avec une gaillarde de vingt ans, toi qui n’as pas l’air d’être à la noce ? Hein ? sans te blesser, on peut bien dire qu’on te donnerait deux sous dans la rue.

Damour avait baissé la tête, étranglé, ne trouvant plus un mot. Berru commanda un second litre et voulut le consoler.

— Voyons, que diable ! puisque tu es en vie, rigole un peu. Tout n’est pas perdu, ça s’arrangera… Que vas-tu faire ?

Et les deux hommes s’enfoncèrent dans une discussion interminable, où les mêmes arguments revenaient sans cesse. Ce que le peintre ne disait pas, c’était que, tout de suite après le départ du déporté, il avait tâché de se mettre avec Félicie, dont les fortes épaules le séduisaient. Aussi gardait-il contre elle une sourde rancune de ce qu’elle lui avait préféré le boucher Sagnard, à cause de sa fortune sans doute. Quand il eut fait venir un troisième litre, il cria :

— Moi, à ta place, j’irais chez eux, et je m’installerais, et je flanquerais le Sagnard à la porte,