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ailleurs sur une meilleure table. Mais, un matin, il se présenta très allumé, il raconta l’affaire des canons de Montmartre. Des barricades s’élevaient partout, le triomphe du peuple arrivait enfin ; et il venait chercher Damour, en disant qu’on avait besoin de tous les bons citoyens. Damour quitta son étau, malgré la figure bouleversée de Félicie. C’était la Commune.

Alors, les journées de mars, d’avril et de mai se déroulèrent. Lorsque Damour était las et que sa femme le suppliait de rester à la maison, il répondait :

— Et mes trente sous ? Qui nous donnera du pain ?

Félicie baissait la tête. Ils n’avaient, pour manger, que les trente sous du père et les trente sous du fils, cette paie de la garde nationale que des distributions de vin et de viande salée augmentaient parfois. Du reste, Damour était convaincu de son droit, il tirait sur les Versaillais comme il aurait tiré sur les Prussiens, persuadé qu’il sauvait la république et qu’il assurait le bonheur du peuple. Après les fatigues et les misères du siège, l’ébranlement de la guerre civile le faisait vivre dans un cauchemar de tyrannie, où il se débattait en héros obscur, décidé à mourir