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tait pas, une fraîcheur montait de l’eau, balayait et blanchissait la clarté crue. Mais ce qui amusa Estelle, ce fut de voir à l’horizon, sur tous les rochers, une multitude de points qui se détachaient en noir, très nettement. C’étaient, comme eux, des pêcheurs de crevettes, d’une finesse de silhouette incroyable, pas plus gros que des fourmis, ridicules de néant dans cette immensité, et dont on distinguait les moindres attitudes, la ligne arrondie du dos, quand ils poussaient leurs filets, ou les bras tendus et gesticulants, pareils à des pattes fiévreuses de mouche, lorsqu’ils triaient leur pêche, en se battant contre les herbes et les crabes.

— Je vous assure qu’elle monte ! cria M. Chabre avec angoisse. Tenez ! ce rocher tout à l’heure était découvert.

— Sans doute elle monte, finit par répondre Hector impatienté. C’est justement lorsqu’elle monte qu’on prend le plus de crevettes.

Mais M. Chabre perdait la tête. Dans son dernier coup de filet, il venait d’amener un poisson étrange, un diable de mer, qui le terrifiait, avec sa tête de monstre. Il en avait assez.

— Allons-nous-en ! Allons-nous-en ! répétait-il. C’est bête de faire des imprudences.