Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’hui, la ville de jadis est un village perdu, aux rues barrées de fumier, étranglées entre des masures noires. Mais la solitude y est si douce, qu’Estelle enjambait les coulées d’ordure, intéressée par le moindre bout de muraille, jetant des coups d’œil surpris dans les intérieurs des habitants, où tout un bric-à-brac de misère traînait sur la terre battue. Hector l’arrêtait devant les figuiers superbes, aux larges feuilles de cuir velu, dont les jardins sont plantés, et qui allongent leurs branches par-dessus les clôtures basses. Ils entraient dans les ruelles les plus étroites, ils se penchaient sur les margelles des puits, au fond desquels ils apercevaient leurs images souriantes, dans l’eau claire, blanche comme une glace ; tandis que, derrière eux, M. Chabre digérait ses coquillages, abrité sous la percaline verte de son ombrelle, qu’il ne quittait jamais.

Une des grandes gaietés d’Estelle était les oies et les cochons, qui se promenaient en bandes, librement. Dans les premiers temps, elle avait eu très peur des cochons, dont les allures brusques, les masses de graisse roulant sur des pattes minces, lui donnaient la continuelle inquiétude d’être heurtée et renversée ; ils étaient aussi bien