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pas là, et à mesure que je guettais les passants, dans Maisons-Laffitte, mon cœur se serrait. Je finissais par me perdre, hors des habitations, le long de la Seine, lorsqu’une grosse émotion m’a arrêté net, près d’une touffe de ronces. À cinquante pas, venant à moi, un groupe de personnes s’avançaient lentement, et je reconnaissais Louise et Berthe ; Gaucheraud et Félix, toujours inséparables, suivaient à quelques pas. Ainsi, j’avais deviné. Cela m’a empli d’orgueil. Mais mon trouble était si grand, que j’ai commis un véritable enfantillage. Je me suis caché derrière la touffe de ronces, pris de je ne sais quelle honte, craignant de paraître ridicule. Lorsque Louise a passé, le bord de sa robe a frôlé le buisson. Tout de suite, j’avais compris la sottise de mon premier mouvement. Aussi me suis-je hâté de couper à travers champs ; et, comme les promeneurs arrivaient à un coude de la route, j’ai débouché de l’air le plus naturel possible, en homme qui se croit seul et qui s’abandonne à la rêverie du grand air.

— Tiens ! c’est vous ! a crié Gaucheraud.

J’ai salué, en affectant une vive surprise. On s’est exclamé, on a échangé des poignées de main. Mais Félix riait de son air singulier ; tan-