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duisait un singulier phénomène en moi, je finissais par les confondre. J’avais aujourd’hui la certitude que Félix était bien réellement l’amant de Berthe ; mais cela ne me blessait pas, au contraire ; je voyais là un encouragement, une certitude de me faire aimer. Je les associais donc toutes deux : puisqu’elles avaient cédé à d’autres, pourquoi ne me céderaient-elles pas, à moi ? C’était là le continuel sujet d’une rêverie délicieuse, à l’heure de mon lever. Je m’attardais dans mon lit, jouissant de la tiédeur des couvertures, me retournant vingt fois, avec une paresse heureuse des membres. Et j’évitais de rien préciser, car il m’était agréable de rester dans le vague d’un dénouement que j’arrangeais sans cesse à ma guise. Je pouvais ainsi raffiner sur les circonstances qui me livreraient un jour Berthe ou Louise, je ne voulais pas même savoir au juste laquelle. Enfin, je me levais, avec l’absolue conviction que je n’avais qu’à choisir, pour être le maître de l’une ou de l’autre.

Quand nous sommes entrés dans la première salle de l’exposition de peinture, j’ai été surpris de la foule énorme qui s’y étouffait.

— Diable ! a murmuré Félix, nous venons un peu tard. Il va falloir jouer des coudes.