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énormes que j’ai entendues, entre hommes, dans les coins du salon de ma tante. À écouter les paroles crues, échangées à demi-voix, plus de la moitié des femmes qui étaient là se conduisaient comme des gueuses ; et c’était, sous l’urbanité des conversations et des manières, une brutalité d’appréciation qui les déshabillait toutes, les mères, les filles, salissant les plus honnêtes autant que les plus compromises. Comment savoir la vérité, au milieu de ces histoires risquées, de ces affirmations du premier venu, décidant de la vertu ou de l’impudeur d’une femme ? J’avais d’abord pensé que ma tante, malgré ce que mon père en disait, recevait du bien vilain monde. Mais Félix prétendait qu’il en était ainsi dans presque tous les salons parisiens ; les maîtresses de maison sévères devaient elles-mêmes se montrer tolérantes, sous peine de faire le vide chez elles. Mes premières révoltes s’étaient calmées, je n’avais plus que le besoin sensuel de profiter, moi aussi, de cette facilité du plaisir, de ces jouissances offertes avec une grâce si troublante.

Chaque matin, depuis quatre jours, je ne pouvais m’éveiller, dans mon petit appartement de la rue Laffitte, sans songer à Louise et à Berthe, comme je les nommais familièrement. Il se pro-