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coup, un effroyable bruit roulait avec un fracas de tonnerre. C’était un double écroulement qui venait de se produire. Notre train n’avait pas reçu une pierre, les wagons restaient intacts ; seulement, aux deux bouts du tunnel, devant et derrière nous, la voûte s’était effondrée, et nous nous trouvions ainsi au centre d’une montagne, murés par des blocs de rocher. Alors commençait une longue et affreuse agonie. Aucun espoir de secours ; il fallait un mois pour déblayer le tunnel ; encore ce travail demandait-il des précautions infinies, des machines puissantes. Nous étions prisonniers dans une sorte de cave sans issue. Notre mort à tous n’était plus qu’une question d’heures.

Souvent, je le répète, mon imagination avait travaillé sur cette donnée terrible. Je variais le drame à l’infini. J’avais pour acteurs des hommes, des femmes, des enfants, plus de cent personnes, toute une foule qui me fournissait sans cesse de nouveaux épisodes. Il se trouvait bien quelques provisions dans le train ; mais la nourriture manquait vite, et sans aller jusqu’à se manger entre eux, les misérables affamés se disputaient férocement le dernier morceau de pain. C’était un vieillard qu’on repoussait à coups de poing et qui agoni-