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Marguerite avait pris une de mes mains qui pendait, inerte au bord du lit ; et elle la baisait, et elle répétait follement :

— Olivier, réponds-moi… Mon Dieu ! il est mort ! il est mort !

La mort n’était donc pas le néant, puisque j’entendais et que je raisonnais. Seul, le néant m’avait terrifié, depuis mon enfance. Je ne m’imaginais pas la disparition de mon être, la suppression totale de ce que j’étais ; et cela pour toujours, pendant des siècles et des siècles encore, sans que jamais mon existence pût recommencer. Je frissonnais parfois, lorsque je trouvais dans un journal une date future du siècle prochain : je ne vivrais certainement plus à cette date, et cette année d’un avenir que je ne verrais pas, où je ne serais pas, m’emplissait d’angoisse. N’étais-je pas le monde, et tout ne croulerait-il pas, lorsque je m’en irais ?

Rêver de la vie dans la mort, tel avait toujours été mon espoir. Mais ce n’était pas la mort sans doute. J’allais certainement me réveiller tout à l’heure. Oui, tout à l’heure, je me pencherais et je saisirais Marguerite entre mes bras, pour sécher ses larmes. Quelle joie de nous retrouver ! et comme nous nous aimerions da-