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ainsi des mélancolies soudaines que personne ne comprenait. Lorsqu’il m’arrivait une bonne chance, on s’étonnait de me voir sombre. C’était que tout d’un coup, l’idée de mon néant avait traversé ma joie. Le terrible : « À quoi bon ? » sonnait comme un glas à mes oreilles. Mais le pis de ce tourment, c’est qu’on l’endure dans une honte secrète. On n’ose dire son mal à personne. Souvent le mari et la femme, couchés côte à côte, doivent frissonner du même frisson, quand la lumière est éteinte ; et ni l’un ni l’autre ne parle, car on ne parle pas de la mort, pas plus qu’on ne prononce certains mots obscènes. On a peur d’elle jusqu’à ne point la nommer, on la cache comme on cache son sexe.

Je réfléchissais à ces choses, pendant que ma chère Marguerite continuait à sangloter. Cela me faisait grand’peine de ne savoir comment calmer son chagrin, en lui disant que je ne souffrais pas. Si la mort n’était que cet évanouissement de la chair, en vérité j’avais eu tort de la tant redouter. C’était un bien-être égoïste, un repos dans lequel j’oubliais mes soucis. Ma mémoire surtout avait pris une vivacité extraordinaire. Rapidement, mon existence entière passait devant moi, ainsi qu’un spectacle auquel je me sentais dé-