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trouvait dans un état parfait d’ordre et de propreté : les carreaux du fourneau luisaient ; le cuivre et la verrerie des appareils reflétaient la grande fenêtre claire ; autour des murs s’allongeaient des planches couvertes de bocaux, de fioles, de récipients de toutes sortes ; sur la table, au milieu, s’étalaient d’énormes livres ouverts, des paquets de feuilles manuscrites. Il se souvenait encore de l’impression de surprise respectueuse produite sur lui par la vue de cet atelier d’étude, encombré, méthodiquement, pour ainsi dire, de tout un monde d’objets. Là dormaient les fruits d’une longue vie de labeur, les secrets précieux d’un savant qui avait interrogé la nature pendant plus d’un demi-siècle, sans vouloir confier à personne les résultats de son ardente curiosité. Guillaume, en pénétrant dans le laboratoire, s’attendait à retrouver à leur place les appareils et les planches, les livres et les manuscrits. Il entra dans une véritable ruine. Un vent d’orage semblait avoir traversé la pièce, souillant et brisant tout : le fourneau, noir de fumée, paraissait éteint depuis de longs mois, et l’amas de cendre froide qui l’emplissait avait coulé en partie sur le parquet ; le cuivre des appareils était tordu, la verrerie, brisée ; les fioles et les bocaux des planches, cassés en mille éclats, s’empilaient dans un coin, pareils à ces tessons de bouteilles que l’on voit au fond de certaines ruelles ; les planches elles-mêmes pendaient, comme arrachées de leurs tasseaux par une main furieuse ; quant aux livres et aux manuscrits, déchirés, à demi brûlés, ils faisaient un tas dans un autre coin. Et ces ruines ne dataient pas de la veille, depuis longtemps le laboratoire devait être ravagé : de grandes toiles d’araignées tombaient du plafond, une couche épaisse de poussière couvrait les débris qui traînaient partout.

Guillaume, à la vue d’un pareil délabrement, sentit son cœur se serrer. Il croyait comprendre. Son père lui avait jadis parlé de la science avec une jalousie sourde, une ironie amère. Il devait la considérer comme une maîtresse lubrique et cruelle qui le brisait de ses voluptés ; il ne