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MADELEINE FÉRAT

Elle garda encore le silence ; puis, d’une voix tremblante :

— Mon ami, dit-elle, tu dépenses beaucoup d’argent pour moi. Tu as tort. Je n’ai pas besoin de tous ces cadeaux. Je t’aimerais autant si tu ne me donnais rien.

Elle retint un sanglot. Guillaume l’attira vivement à lui, surpris et fâché, n’osant comprendre la cause de sa pâleur.

— Qu’as-tu ? reprit-il. Ah ! Madeleine, voilà de bien vilaines pensées… N’es-tu pas ma femme ?

Elle le regarda en face, et son regard droit, presque dur, disait clairement : « Non, je ne suis pas ta femme. » Si elle eût osé, elle aurait proposé alors à son amant de payer sa nourriture et sa toilette sur ses petites rentes. Depuis sa faute, son orgueil était devenu intraitable ; elle sentait que tout la blessait, et cela l’irritait encore davantage.

Quelques jours après, Guillaume lui ayant apporté une robe, elle lui dit avec un rire nerveux :

— Je te remercie, mais, à l’avenir, laisse-moi acheter ces choses-là. Tu n’y entends rien, et l’on te vole.

Dès lors, elle fit elle-même ses emplettes. Quand son amant voulut lui rembourser l’argent qu’elle dépensait, elle joua toute une comédie qui lui permit de le refuser. Elle resta ainsi toujours sur ses gardes, livrant de véritables batailles pour sauvegarder ses fiertés qu’un rien faisait souffrir. La vérité était que la vie commençait à lui devenir insupportable, rue de Boulogne. Elle aimait Guillaume, mais elle parvenait à se rendre si malheureuse elle-même par ses révoltes de chaque jour, que souvent elle croyait ne plus l’aimer, ce qui ne l’empêchait pas d’éprouver une grande épouvante quand il lui venait à la pensée qu’il pouvait l’abandonner à l’exemple de Jacques. Elle pleurait alors pendant des heures, en se demandant à quelle honte nouvelle elle tomberait.

Guillaume s’apercevait parfaitement qu’elle avait parfois les yeux rougis de larmes. Il devinait en partie les blessures qu’elle se faisait. Il aurait voulu être doux, la