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MADELEINE FÉRAT

Madeleine apprit un jour la mort de Lobrichon. Elle se contenta de dire :

— C’était un vilain homme.

Elle garda son indifférence, et Guillaume ne parut prendre aucun intérêt à cette nouvelle. Quand il recevait des lettres de Véteuil, il les jetait dans un tiroir après les avoir lues ; jamais sa maîtresse ne lui demandait ce que contenaient ces lettres. Au bout de six mois d’une pareille vie, ils étaient aussi étrangers l’un à l’autre que le premier jour : ils s’étaient aimés sans chercher à se connaître.

Ce rêve s’acheva brusquement.

Un matin, comme Guillaume était allé chez son banquier, Madeleine ne sachant que faire se mit à feuilleter un album de photographies qui traînait sur un meuble, et qu’elle n’avait pas encore aperçu. Son amant avait retrouvé la veille cet album, au fond d’une malle. Il ne contenait que trois portraits, ceux de son père, de Geneviève et de son ami Jacques.

Quand la jeune femme aperçut ce dernier portrait, elle poussa un cri sourd. Les mains appuyées sur les feuillets ouverts de l’album, toute droite, frémissante, elle contemplait le visage souriant de Jacques d’un air épouvanté, comme si un fantôme venait se dresser devant elle. C’était lui, l’amant d’une nuit devenu l’amant d’une année, l’homme dont le souvenir endormi dans sa poitrine s’éveillait et la déchirait cruellement, à cette brusque apparition.

Ce fut un coup de foudre dans son ciel tranquille. Elle avait oublié ce garçon, elle était l’épouse fidèle de Guillaume. Pourquoi Jacques se levait-il entre eux ? Pourquoi était-il là, dans cette pièce où tout à l’heure encore son amant la tenait entre ses bras ? Qui l’avait amené jusqu’à elle pour troubler à jamais sa paix ? Ces questions faisaient monter la folie à sa tête éperdue.

Jacques la regardait de son air légèrement railleur. Il semblait la plaisanter sur ses amours attendries ; il lui disait : « Bon Dieu ! ma pauvre fille, comme tu dois t’en-