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MADELEINE FÉRAT

diant, à toute heure de la journée, les versets de sa grande Bible. Le comte la laissa faire ; il la visita à plusieurs reprises, accueillant d’un air impassible les sermons ardents qu’elle lui fit subir. Une seule fois il faillit se fâcher : il avait rencontré la vieille fanatique dans une allée où il se promenait en compagnie de sa maîtresse, et Geneviève s’était permis d’interpeller la jeune femme avec une violence de langage toute biblique. Elle qui n’avait pas la moindre faute à se faire pardonner, aurait jeté la boue des chemins à la face des pécheresses. La femme du notaire fut fort effrayée de cette scène, et il est même à croire que le mépris et la colère de la protestante furent pour quelque chose dans son départ brusque.

Dès que Geneviève sut que la honte n’était plus à la Noiraude, elle y revint tranquillement reprendre son rôle de maîtresse souveraine. Elle n’y trouva qu’un enfant de plus, le petit Guillaume. La pensée de cet enfant, lorsqu’elle logeait encore au pavillon, lui avait causé une horreur sacrée ; il était le fils du péché, il ne pouvait amener avec lui que le malheur, et peut-être le Dieu vengeur l’avait-il fait naître pour punir son père de son impiété. Mais quand elle vit la pauvre créature, dans son berceau blanc et rose, elle éprouva une sensation d’une douceur inconnue. Cette femme, dont le cœur et la chair avaient séché dans une virginité ardente de fanatique, sentit vaguement se réveiller en elle l’épouse et la mère qu’il y a au fond de toute vierge. Elle se crut tentée par le démon, elle voulut résister à l’amollissement qui s’emparait de son être. Puis elle se laissa aller, elle embrassa Guillaume avec des envies de se recommander à Dieu pour se protéger contre cet enfant du crime que le ciel devait avoir maudit.

Et peu à peu elle devint une mère pour lui, mais une mère étrange dont les caresses gardaient une sorte de vague terreur. Par instants, elle le repoussait ; puis elle le reprenait entre ses bras avec cette volupté âcre des dévots qui croient sentir la griffe du diable pénétrer leur