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MADELEINE FÉRAT

jour elle devint une épouse modèle. Vingt ans après, on parlait encore de ce scandale à Véteuil.

Guillaume, l’enfant né de cette singulière liaison, fut nourri à la Noiraude. Son père, qui avait eu pour sa maîtresse un amour passager, mêlé d’un peu de mépris, accepta ce fils du hasard avec une parfaite indifférence. Il le laissa auprès de lui pour qu’on ne l’accusât pas de vouloir cacher le témoignage vivant de sa sottise ; mais il évita de s’en occuper, le souvenir de la femme du notaire lui étant désagréable. Le pauvre être grandit dans une solitude presque complète. Sa mère, qui n’avait pas même senti le besoin de faire quitter Véteuil à son mari, ne chercha jamais a le voir. Cette femme comprenait maintenant combien elle avait été folle ; elle tremblait en songeant aux suites qu’aurait pu avoir sa faute ; l’âge venait, et elle obéissait à son sang bourgeois, elle s’était faite dévote et prude.

La véritable mère de Guillaume fut une vieille servante de la maison, qui avait vu naître M. de Viargue. Geneviève était sœur de lait de la mère du comte. Cette dernière, qui appartenait a la noblesse du Midi, s’était fait accompagner par elle en Allemagne, lors de l’émigration, et M. de Viargue, à sa rentrée en France, après la mort de sa mère, l’avait installée à Véteuil. C’était une paysanne cévenole, appartenant à la religion réformée et gardant dans sa tête étroite et ardente tout le fanatisme des premiers calvinistes, dont elle sentait le sang couler dans ses veines. Grande, sèche, avec des yeux creux et un grand nez aigu, elle rappelait ces vieilles possédées qu’on jetait jadis au bûcher. Elle traînait partout une énorme bible sombre dont la reliure était consolidée par une garniture de fer, matin et soir, elle en lisait quelques versets à voix haute et perçante. Parfois elle trouvait des mots farouche, de ces mots de colère que le terrible Dieu des Juifs laissait tomber sur son peuple épouvanté. Le comte tolérait ce qu’il nommait ses manies ; il connaissait la haute probité, la justice souveraine de cette nature exaltée. D’ailleurs, il regardait Geneviève comme un legs sacré de