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MADELEINE FÉRAT

alambics. Quand il eut pesé la matière dans ses mains puissantes, il oublia la France, son père guillotiné, sa mère morte à l’étranger ; il ne resta en lui du gentilhomme qu’un sceptique froid et hautain. Le savant avait tué l’homme.

Personne, d’ailleurs, ne pénétra au fond de cette étrange organisation. Ses familiers ignorèrent toujours le vide brusque qui s’était fait dans son cœur. Il garda pour lui le secret du néant, de ce néant qu’il croyait avoir touché du doigt. S’il vivait encore loin du monde, en exilé, comme il continuait à le dire, c’est qu’il méprisait les petits et les grands, et qu’il se comparait lui-même à un ver de terre. Mais il resta debout, grave et dédaigneux, d’une froideur glaciale. Jamais il ne laissa tomber son masque d’orgueil.

Il y eut cependant une secousse dans l’existence calme de cet homme. Une jeune femme étourdie, mariée à un notaire de Véteuil, vint se jeter entre ses bras. Il avait alors quarante ans, et traitait encore ses voisins en sujets corvéables. Il garda la jeune femme pour maîtresse, l’afficha à trois lieues à la ronde, eut même l’audace de l’installer à la Noiraude. Ce fut un scandale inouï dans la petite ville. Les allures brusques de M. de Viargue le faisaient déjà montrer au doigt. Quand il vécut ouvertement avec la femme du notaire, on faillit le lapider. Le mari, un pauvre homme qui avait une peur atroce de perdre sa place, se tint coi pendant les deux années que dura la liaison. Il ferma les yeux et les oreilles, il parut croire que sa femme était en simple villégiature chez M. de Viargue. Celle-ci devint enceinte et accoucha au château même. Quelques mois plus tard, elle se lassa de son amant, qui de nouveau passait les journées dans son laboratoire. Un beau matin, elle retourna chez son mari, en ayant soin d’oublier son enfant. Le comte se garda bien de courir après elle. Le notaire la reprit tranquillement, comme si elle fût revenue d’un voyage. Le lendemain, il la promena à son bras dans les rues de la ville, et dès ce