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MADELEINE FÉRAT

grande, puissante, et avait déjà une largeur de poitrine qui répondait à l’idéal de Lobrichon. D’ailleurs, il ne venait de se décider qu’après de longs calculs. L’enfant étant jeune encore, il se disait qu’il pourrait l’élever pour lui seul, la laisser doucement mûrir sous ses yeux, prenant ainsi un avant-goût de volupté dans le spectacle de sa beauté florissante ; puis, il l’aurait absolument vierge, il la formerait au gré de ses plaisirs, en esclave de sérail. Il mettait dans cette pensée de préparer une jeune fille à être épouse, un raffinement monstrueux d’homme qui a sevré sa chair durant de longues années.

Pendant quatre ans, Madeleine vécut en paix dans la petite maison de Passy. Elle n’avait fait que changer de prison, mais elle ne se plaignait point de la surveillance active de son tuteur ; elle n’éprouvait aucun désir de sortir, brodant des journées entières sans éprouver ces malaises qui étouffent les filles de son âge. Les sens s’éveillaient très tard chez elle. D’ailleurs Lobrichon se montrait aux petits soins pour sa chère enfant ; il prenait souvent ses mains fines, la baisait au front de ses lèvres chaudes. Elle recevait ces caresses avec un sourire tranquille, ne s’apercevait pas des regards étranges du vieillard, quand elle retirait son fichu devant lui comme devant un père.

Elle venait d’avoir dix-neuf ans, lorsqu’un soir l’ancien marchand d’habits s’oublia jusqu’à la baiser sur les lèvres. Elle le repoussa d’un geste instinctif de révolte, et le regarda en face, sans comprendre encore. Le vieux tomba à genoux, balbutiant des mots honteux. Ce misérable, qu’un désir ardent secouait depuis de longs mois n’avait pu jouer jusqu’à la fin son rôle de protecteur désintéressé. Peut-être Madeleine l’eût-elle épousé, s’il ne l’avait pas violentée. Elle se retira tranquillement, en déclarant d’une voix nette qu’elle quitterait la maison le lendemain.

Lobrichon, resté seul, comprit la faute irréparable qu’il venait de commettre. Il connaissait Madeleine, il savait qu’elle tiendrait parole. Il perdit la tête, ne chercha plus