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MADELEINE FÉRAT

tesse de ses erreurs. Elle passait même ses vacances, enfermée, repliée dans ses pensées. Lobrichon, qui redoutait sa turbulence, la tenait éloignée. Neuf années s’écoulèrent ainsi. Madeleine avait quinze ans, elle était femme déjà, et devait garder désormais la trace ineffaçable des rêves dans lesquels elle avait grandi.

On lui avait appris la danse et la musique. Elle savait peindre agréablement l’aquarelle, broder de toutes les façons imaginables. D’ailleurs, elle eût été incapable d’ourler des torchons et de faire son lit elle-même. Quant à son instruction, elle se composait d’un peu de grammaire, d’un peu d’arithmétique, et de beaucoup d’histoire sainte. On lui avait fait soigner son écriture qui, au grand désespoir de ses maîtresses, était restée forte et écrasée. Sa science s’arrêtait là ; on l’accusait de saluer avec trop de raideur et de gâter son sourire par l’expression froide de ses yeux gris.

Quand elle eut quinze ans, Lobrichon, qui venait depuis quelque temps la voir presque tous les jours, lui demanda si elle serait contente de quitter le pensionnat. Elle n’avait aucune hâte d’entrer dans l’inconnu, mais en grandissant elle prenait en haine la voix mielleuse de ses maîtresses et les grâces apprises de ses compagnes. Elle répondit à Lobrichon qu’elle était prête à le suivre. Le lendemain, elle couchait dans une petite maison que l’ami de son père venait d’acheter à Passy.

L’ancien marchand d’habits caressait un projet. Il s’était retiré du commerce à l’âge de soixante ans. Pendant plus de trente années, il avait mené une vie de ladre, mangeant mal, se privant de femme, tout à l’accroissement de sa fortune. Comme Férat, c’était un rude travailleur, mais il travaillait pour ses jouissances futures. Il se proposait, lorsqu’il serait riche, d’apaiser largement ses appétits. La fortune venue, il prit une bonne cuisinière, acheta un pavillon tranquille entre cour et jardin, et résolut d’épouser la fille de son ancien ami.

Madeleine ne possédait pas un sou, mais elle était