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Nous aurions beau nous aveugler ; par instants, je pénétrerais tes lassitudes et tes dégoûts, tu lirais en moi mes pensées et mes voluptés honteuses. Nous ne pouvons plus vivre ensemble… Est-ce vrai ?

— C’est vrai.

Guillaume répondait en écho, et chacune de ses réponses tombait claire et tranchante comme une lame d’acier. L’attitude haute et calme de sa femme avait éveillé en lui toutes les fiertés de son sang. Il n’avait plus une faiblesse, il voulait racheter ses abandons nerveux, en acceptant avec courage le dénouement fatal qu’il croyait deviner.

— À moins, continua Madeleine avec amertume, que tu ne veuilles vivre séparé de moi, toi dans une chambre et moi dans une autre, comme certains époux qui s’acceptent seulement devant le monde, pour sauver les apparences. Nous venons de voir quelques-uns de ces ménages à Paris. Voudrais-tu tenter cette vie ?

— Non, s’écria le jeune homme, je t’aime encore, Madeleine… Nous nous aimons, et c’est cela qui nous tue, n’est-ce pas ?… Si je te conserve, je veux rester ton mari, ton amant. Tu as bien vu, à Paris, nous n’avons pu nous plier à cette existence d’égoïsme. Nous devons vivre aux bras l’un de l’autre ou ne plus vivre.

— Eh bien ! alors, soyons logiques, tout est fini. Tu l’as dit, c’est notre amour qui nous tue. Si nous ne nous aimions pas, nous vivrions paisibles. Mais s’aimer toujours et souiller ses tendresses ; désirer s’étreindre à chaque heure et ne plus oser se toucher du bout des doigts ; passer mes nuits à ton côté, sur la poitrine d’un autre, lorsque je donnerais mon sang pour pouvoir t’attirer à moi : cela, vois-tu, finirait par nous rendre fous… Tout est fini.

— Oui, tout est fini, répéta lentement Guillaume.

Il y eut un court silence. Les époux se regardaient dans les yeux d’un regard assuré. Madeleine, gardant son calme effrayant, cherchait si elle n’avait oublié aucune des causes qui l’obligeaient au suicide. Elle voulait