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paraissait tombée. La tête haute, les yeux résolus, elle avait l’attitude inexorable d’un juge.

— Il y a quelques mois, reprit-elle, je t’ai demandé une grâce, en quittant l’auberge de Mantes, celle de me laisser mourir le jour où la vie de tortures que nous menons, deviendrait intolérable. Je n’ai pu calmer ma pensée, apaiser mon cœur ; je viens te rappeler la promesse que tu m’as faite alors.

Guillaume ne répondit pas. Il devinait les raisons que sa femme allait lui donner, il les attendait, prêt à les accepter, ne songeant plus à la défendre contre elle-même.

— Vois où nous en sommes arrivés, poursuivit Madeleine. Nous nous trouvons acculés tous les deux, traqués dans cette pièce où les faits ont fini par nous pousser. Chaque jour, nous avons perdu un peu de terrain, nous avons senti le cercle de fer qui nous entoure se resserrer et nous mesurer l’espace. Successivement, tous les lieux sont devenus inhabitables pour nos pauvres cerveaux malades : le pavillon voisin, notre petit hôtel de Paris, jusqu’à la salle à manger de la Noiraude, jusqu’à la chambre où vient de mourir notre fille. Maintenant, nous sommes enfermés ici, au fond de cette retraite sinistre, de ce dernier asile digne de notre folie. Si nous en sortons tous deux, ce sera pour rouler plus bas, pour mener une vie plus infâme et plus lâche… Est-ce vrai ?

— C’est vrai, répondit Guillaume.

— Nous sommes là, face à face, n’échangeant plus un mot, un regard, sans nous blesser. Je ne t’appartiens plus, j’appartiens aux souvenirs qui, la nuit, viennent me secouer de cauchemars horribles. Tu n’ignores rien, tu m’as éveillée une fois, comme je m’abandonnais aux bras d’un songe. Aussi n’oses-tu plus me serrer sur ta poitrine, n’est-ce pas, Guillaume ? Je suis trop pleine d’un autre homme. Je te crois jaloux, je te crois désespéré, poussé à bout comme moi… Est-ce vrai ?

— C’est vrai.

— Nos amours seraient donc ignobles à cette heure.