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Et tra la la, tra la la la,
Tra la la la, la la, la la.

C’était Vert-de-Gris. Les « tra la la, » à cette heure de sérénité triste, prenaient sur ses lèvres un accent de douloureuse ironie. On eût dit les rires d’une folle qui s’attendrissaient et se noyaient dans des larmes. Madeleine s’arrêta, comme clouée. Cette voix, cette chanson entendue ainsi, au milieu des frissons du soir, faisait passer devant elle une vision rapide et poignante. Elle se rappelait ses anciennes promenades à Verrières. À la tombée de la nuit, elle descendait du bois, ayant Vert-de-Gris au bras. Et toutes deux elles chantaient la ballade du pacha Mustapha. Au loin, dans les sentiers où l’ombre coulait, des voix de femmes leur répondaient par d’autres refrains. Elles apercevaient, à travers les feuilles, des robes blanches rasant le sol comme des vapeurs, se fondant peu à peu dans les ténèbres. Puis tout devenait d’un noir épais. Les voix lointaines se faisaient plaintives, les gaudrioles, les couplets obscènes, écorchés par des gosiers que l’absinthe avait brûlés, flottaient doucement, avec des tendresses et des mélancolies pénétrantes.

Ces souvenirs serrèrent Madeleine à la gorge. Elle entendait toujours les pas de Vert-de-Gris qui avançait ; elle s’était mise à reculer pour ne pas se trouver face à face avec cette femme dont elle distinguait déjà la silhouette lamentable. Au bout d’un silence la folle éleva de nouveau la voix :

Pour son sérail il acheta
Mademoiselle Catinka.
C’est trente sous qu’il la paya :
Elle valait moins cher que ça.

Et tra la la, tra la la la,
Tra la la la, la la, la la.

Alors Madeleine, épouvantée par les rires fous de la