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sa tête. Elle était tout étourdie, comme si elle se fût penchée sur une cuve.

Dans les premiers moments, elle avait songé uniquement à la démarche qu’elle allait tenter. Son cerveau reprenait son travail de la nuit : elle se voyait entrant chez Jacques, elle répétait les termes dans lesquels elle lui apprendrait qu’elle était la femme de Guillaume, elle rêvait aux conséquences qu’aurait un pareil aveu. Des espérances lui venaient. Elle retournerait à Véteuil, apaisée, presque guérie ; elle reprendrait avec son mari leur vie paisible d’autrefois. Puis, lorsque ces pensées d’espoir eurent comme bercé et amolli son être, elle glissa lentement à des songes vagues. Elle oublia la scène pénible qui devait avoir lieu dans quelques instants, elle ne remua plus les soucis de sa résolution. Ivre du parfum des fleurs, attiédie par le soleil, elle continua à marcher, s’abandonnant à une rêverie douce et fuyante. L’idée de l’existence tranquille qu’elle mènerait avec Guillaume, la reporta aux souvenirs heureux de sa vie. Le passé l’emplit, son passé de joie et d’amour. L’image de son mari finit par s’évanouir, elle n’aperçut bientôt plus que Jacques. Il cessait de la torturer, il lui souriait comme jadis. Alors elle revit la chambre de la rue Soufflot, elle se rappela certaines matinées d’avril qu’elle avait passées avec son premier amant dans le bois de Verrières. Elle était heureuse de pouvoir songer à tout cela sans souffrir ; elle s’y enfonçait davantage, ne voyant plus le présent, ne se demandant même plus pourquoi elle attendait midi. Et elle marchait toujours dans le parfum puissant des roses, envahie par une mollesse croissante.

Comme on finissait par la regarder avec curiosité, elle se décida à aller se promener ailleurs. Elle descendit jusqu’aux Champs-Élysées, emportant son rêve. Les allées étaient presque désertes, elle put y rester dans un silence frissonnant. D’ailleurs, elle ne vit rien autour d’elle. Machinalement, au bout d’une longue promenade, elle revint à la Madeleine. Elle s’y oubliait de nouveau, au milieu des