Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
MADELEINE FÉRAT

— Ce qui me désespère, reprit-il d’une voix basse, c’est de vous devoir au hasard… Vous n’auriez point consenti à rester, n’est-ce pas ? si les chemins avaient été praticables.

— Oh ! vous ne me connaissez pas, s’écria Madeleine ; si je reste, c’est que je le veux. Je me serais en allée au plus fort de l’orage plutôt que de demeurer ici contre ma volonté.

Elle se prit à rêver ; puis, d’un accent vague, comme si elle se fût parlé à elle-même :

— Je ne sais ce qui m’arrivera plus tard, dit-elle. Je me crois capable de vouloir, mais il est si difficile de mener sa vie !

Elle s’arrêta, elle allait avouer à Guillaume qu’un étrange sentiment de compassion l’avait seul décidée à rester. Les femmes succombent plus souvent qu’on ne croit, par pitié, par besoin d’être bonnes. Elle avait vu le jeune homme si frémissant pendant l’orage, il la regardait avec des yeux si humides, qu’elle ne s’était pas senti la force de se refuser à lui.

Guillaume comprit qu’elle se donnait presque comme une aumône. Toutes ses susceptibilités se réveillèrent, un amour offert de cette façon le blessa dans son orgueil.

— Vous avez raison, reprit-il, nous devons attendre encore. Voulez-vous que nous partions ?… Maintenant, c’est moi qui vous demande de rentrer à Paris.

Il parlait d’un ton fiévreux. Madeleine s’aperçut de l’altération de sa voix.

— Qu’avez-vous donc, mon ami ? demanda-t-elle avec surprise.

— Partons, répéta-t-il, partons, je vous en prie.

Elle eut un geste de découragement.

— À quoi bon à présent ? dit-elle. Nous en reviendrons là tôt ou tard… Depuis le jour de notre première rencontre, je sens bien que je vous appartiens… J’avais rêvé de me réfugier dans un couvent, je m’étais juré de ne pas commettre une seconde faute. Tant que je n’ai eu qu’un