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jours détesté le monde ; il y venait de désespoir, pour perdre Madeleine dans la foule durant quelques heures. Puis, quand les salons se vidaient, les époux se retiraient cérémonieusement. En descendant l’escalier, ils s’imaginaient être un peu plus étrangers l’un à l’autre qu’à leur arrivée.

Si leurs soirées étaient occupées, leurs journées restaient vides. Alors Madeleine se jeta avec fièvre dans la vie parisienne ; elle courut les magasins, les couturières et les modistes, se fit coquette, essaya de s’intéresser aux nouvelles inventions de la mode. Elle prit pour amie une écervelée qui venait de se marier au sortir du couvent, et qui était en train de ruiner son mari avec toute l’avidité d’une lorette. Cette petite personne la traîna jusque dans les églises, pour y entendre les conférences des prédicateurs en renom ; de là, elles allaient au Bois où elles passaient en revue les toilettes des filles. Cette existence tourbillonnante, toute de niaiserie et de secousses nerveuses, procurait à Madeleine une sorte de griserie qui lui donnait le sourire hébété des ivrognes. De son côté, Guillaume menait la vie d’un garçon riche et blasé ; il déjeunait au café, montait à cheval l’après-midi, tâchait de prendre à cœur les mille riens que l’on commente des jours entiers dans les clubs. Il avait réussi à n’entrevoir sa femme que la nuit, lorsqu’il la conduisait en soirée.

Pendant un mois, les époux vécurent de la sorte. Ils s’efforçaient d’entendre le mariage à la façon des gens du monde qui se marient par convenance, pour arrondir leur fortune et ne pas laisser périr leur nom. Le jeune homme assoit sa position, la jeune fille conquiert sa liberté. Puis, après une nuit passée dans la même alcôve, ils font chambre à part, ils échangent plus de saluts que de paroles. Monsieur reprend sa vie de garçon, madame commence sa vie de femme adultère. Souvent tous rapports cessent entre eux. Quelques-uns, les plus amoureux, ont un couloir qui relie leurs chambres. De temps à autre, le mari va dans la chambre de sa femme, quand il en sent