Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
MADELEINE FÉRAT

— Mais il ne pleut presque pas, répondit Madeleine. Nous pouvons rester encore.

— Je préférerais rentrer, reprit-il en hésitant, la vue des éclairs me fait mal.

Elle le regarda d’un air étonné.

— Ah ! dit-elle simplement, rentrons, alors.

Une servante porta le couvert dans la salle commune du cabaret, une grande pièce nue, aux murs noircis, qui avait pour tous meubles des tables et des bancs. Guillaume s’assit, le dos tourné aux fenêtres, devant une assiettée de fraises à laquelle il ne toucha pas. Madeleine acheva ses fraises vivement, puis se leva et alla ouvrir une fenêtre qui donnait sur la cour. Là, elle s’accouda, elle regarda le ciel en feu.

L’orage éclatait avec une violence inouïe. Il s’était arrêté au-dessus du bois, écrasant l’air sous le poids brûlant des nuages. La pluie avait cessé, quelques souffles de vent brusques échevelaient les arbres. Les éclairs se succédaient avec une telle rapidité qu’il faisait jour dehors, un jour bleuâtre qui donnait à la campagne un air de décor de mélodrame. Les coups de tonnerre ne roulaient pas dans les échos de l’air et de la vallée ; ils avaient la sécheresse et la netteté de détonations d’artillerie. La foudre devait frapper les arbres autour du cabaret. Entre chaque décharge, il y avait un silence effrayant.

Guillaume éprouvait une anxiété cuisante à la pensée qu’une fenêtre était ouverte derrière son dos. Malgré lui, par une sorte de mouvement nerveux, il tournait la tête, il apercevait Madeleine toute blanche dans la lumière violette des éclairs. Ses cheveux roux, que la pluie avait mouillés dans la cour, retombaient sur ses épaules, s’enflammant à chaque clarté brusque.

— Oh ! que c’est beau ! cria-t-elle. Venez donc voir, Guillaume. Il y a un arbre là-bas qui semble tout en flammes. On dirait que les éclairs courent sous le bois comme des bêtes échappées… Et le ciel !… Ah ! bien, c’est un fameux feu d’artifice !